Trop beau !
Ca donne envie d'y revenir, au Musée Carnavalet.
A propos des sans-culottes, voici l'interprétation de François Furet :
« Indigents – au nombre grossi par l’immigration rurale dans le Paris révolutionnaire depuis la crise de 1789 –, ouvriers des manufactures, travailleurs à domicile, compagnons, mais aussi artisans, boutiquiers ou « ex-bourgeois de Paris » de l’Ancien Régime, les sans-culottes se définissent mieux par un état d’esprit politique que par un statut économique. Ils invoquent beaucoup Rousseau parce qu’ils aiment la démocratie directe, mais ils n’ont pas vraiment pénétré dans les concepts du Contrat social. Sans doute puisent-ils aussi au vieux millénarisme chrétien : les temps exaltants et cruels qu’ils sont en train de vivre figurent un avènement de la fraternité. Une sensibilité religieuse séculaire s’est investie – ou inversée – dans un retour aux sources et l’image du « sans-culotte Jésus » : contre l’Eglise qui trahit sa mission, elle nourrit une eschatologie nouvelle, laïcisée par le culte des saints et des martyrs de la Révolution. On y devine aussi les traces psychologiques d’un plus proche passé : bonnet rouge, pique en main, tutoiement, vertu, le sans-culotte incarne l’envers de la société aristocratique. Il est l’égalité en personne. Ses ennemis ? Ceux de l’égalité et de cette communauté vertueuse et pauvre dont il rêve : non seulement les nobles, les riches, mais les puissants, qu’il faut tenir constamment sous la menace de la guillotine, cette « faux de l’égalité ». La passion punitive et terroriste, qui s’alimente à un profond désir de revanche et d’inversion sociale, complète ainsi la démocratie directe pratiquée dans les sections, que les sans-culottes voudraient étendre à la Convention, par le contrôle permanent des députés : non pas à travers la vieille idée du mandat impératif, mais par la révocabilité des élus. Dans le domaine économique et social, même croyance en l’interventionnisme et la surveillance, héritée celle-là de l’Ancien Régime, et directement contraire aux principes du libéralisme bourgeois, que partage toute la Convention : le gouvernement doit tenir les prix (dans la tempête inflationniste de l’assignat), veiller aux approvisionnements, donner aux indigents ce qu’il prend aux riches. L’émeute urbaine reste définie par la répartition égalitaire de la pénurie, non par une solidarité de producteurs. Il ne lui manque même pas, en 1792-93, le personnage traditionnel du curé révolutionnaire, du prêtre ami des pauvres et fidèle à Jésus contre l’Eglise, qui traverse l’histoire des révoltes populaires européennes : c’est Jacques Roux, prêtre défroqué, leader des Enragés, apôtre de la section des Gravilliers. Le mouvement sans-culotte est inséparablement antilibéral et extrémiste ; les bourgeois de la Convention, Montagne en tête, sont tous des hommes du « laisser-faire, laisser-passer » en matière économique. La Révolution parisienne a dressé à côté d’eux les premiers grands acteurs collectifs de ce qu’on appellera plus tard « la question sociale. »
(François Furet, La Révolution, Hachette Pluriel, page 224)